Par Melissa Zibi
Autrice et designer, Melissa Zibi oscille entre les industries de l’écriture, le design et de la mode et défend le changement dans chacun de ces espaces.
Au temps des rois, des reines, des Empires d’Afrique, les objets de mode et notamment les parures ont toujours eu une valeur importante. Composés de codes permettant non seulement de passer des messages et de distinguer tout un chacun selon son statut social, la mode n’a clairement pas pour simple but de couvrir le corps.
Ainsi, je souris quand de la bouche de certains j’entends des critiques négatives sur cette industrie qui est l’une des plus fructueuses de notre ère. Dans la liste des « anti-modes » arrivent bien souvent en tête les hommes politiques, dont certains se paonnent dans leurs costumes deux ou trois pièces qu’ils portent tous les jours tel un uniforme. Ils pensent que le simple fait de porter les mêmes couleurs ou le même type de vêtement ne font pas d’eux des victimes de la mode. Ils disent, pour certains, que la mode est excentrique et loufoque. Sans doute parlent-ils de la haute couture flamboyante et artistique, qui est en réalité est une vision exagérée et futuriste de ce qui devient, par la suite, une mode épurée et dite simple.
Avant de rentrer dans un argumentaire sans fin, comprenons d’abord d’où vient la mode et pourquoi, en soi, elle est devenue un mouvement mondial qui déplace les foules dans des boutiques populaires aujourd’hui. Pour ce faire, je vais essentiellement me concentrer sur les mouvements de mode en Afrique. Tout d’abord, il existe bien des modes en Afrique et ce depuis la nuit des temps. De l’Empire égyptien à l’Empire Aksoumite en Éthiopie, en passant par l’Empire Mandingue du Mali ou encore les Empires Ashanti du Ghana et de Côte d’Ivoire, les étoffes ont voyagé, marqué et magnifié les corps des africains de toutes les manières possible et imaginable. Ainsi donc, les tissus et les bijoux étaient maître à cette époque. Ils servaient à identifier les Hommes selon leur tribu (chaque parure et style vestimentaire était différent d’un Empire à un autre) mais aussi étaient des outils pour séduire l’être aimé, mettre en valeur le corps, protéger et célébrer le vaillant guerrier, exposer l’abondante richesse des plus aisés.

Les étoffes utilisées pour les rois et les reines, étaient cousues au fil d’or ou confectionnées selon des codes de couleurs et motifs conçus spécialement pour eux et ne pouvant être portés que par eux. Dans d’autres cultures comme celles des Zoulous en Afrique du Sud, les peaux d’animaux servaient d’agrément aux costumes permettaient de mesurer la force et la virilité d’un homme. Soulignant ainsi sa capacité à protéger sa famille et à veiller à son épanouissement. Quant aux femmes, les peaux étaient signe de force et de sagesse.
Plus récemment, et au plus grand désarroi de mes chers anti-modes, les dirigeants politiques des années soixante, période symbolique marquant les premiers pas vers les indépendances des pays africains, ne sont pas en reste. Chaque politicien de cette époque a marqué l’histoire, et ce, du Maroc jusqu’à l’Afrique du Sud. Et, il était important pour ces hommes, dignes Représentants d’une Afrique libre, de montrer leurs talents certes intellectuels mais aussi stylistiques. Nous pouvons commencer par M. Kwame N’Krumah, qui en 1957 arrive à Washington avec un superbe costume traditionnel en tissu Kente, dont le volume et les couleurs ont marqué cette visite aux États-Unis. Par la suite, Monsieur Mobutu a tout simplement créé l’Abacost, un vêtement hybride qui n’était ni un costume classique occidental, ni une chemise. Ces Abacosts étaient cousus par des tailleurs congolais dans des étoffes aux couleurs unies en coton ou dans des imprimés africains flamboyants. Cette création devint si populaire que d’autres présidents africains (dont Mr Kwame N’Krumah du Ghana ou encore le président Julius Nyerere de Tanzanie) l’ont adopté à leur tour. Ensuite nous pouvons citer, Monsieur Nelson Mandela et ses chemises signées Pathé O., l’ancien président du Nigeria Monsieur Goodluck Jonathan toujours en chapeau noir ainsi que son successeur et président actuel, Monsieur Muhammadu Buhari qui lui adore les tenues traditionnelles revisités.

Aussi, quand certains n’osaient pas porter des imprimés ou se créer un style unique, c’était leurs femmes qui étaient de dignes représentantes de la mode de l’Afrique libre. On se souvient de l’incroyable élégance de Miss Fatoumata Diallo, Madame Marie-Thérèse Houphouet-Boigny et aujourd’hui de Madame Samira Bawumia… pour n’en citer que quelques-unes.
Ainsi, vous l’aurez compris, la mode est un excellent moyen de faire passer des idées, un message ou encore de relayer une attitude ; que l’on soit audacieux, comme Monsieur Mobutu, classique et élégant comme Houphouet Boigny, ou encore entre le classique et le traditionnel comme Monsieur Alpha Condé de la Guinée Conakry. L’essentiel est de marquer l’Histoire et d’embrasser sa culture.
Gageons donc que la nouvelle génération de leaders africains se tournera vers les jeunes stylistes africains, qui grâce à leur connaissance pointilleuse de la mode et de la confection vestimentaire, autant africaine que mondiale, sauront rafraîchir avec originalité la garde robe de ces brillants messieurs et dames pour leur permettre d’incarner toujours plus leur message et leur vision. Eh oui, l’habit fait également le leader !