Par Ernestine Joy Nyangono, Professeure des lycées d’Enseignement Secondaire Général, Fellow OFYCL 2022
I- INTRODUCTION
« Tant que les femmes elles-mêmes ne vont pas se serrer les coudes, et ne vont pas se mettre ensemble pour trouver des solutions et être plus fortes ensemble, et tant qu’elles vont aller en rangs dispersés et en se faisant la guerre les unes contre les autres, rien ne marchera, rien n’avancera », affirmait Djaïli AMADOU AMAL (2020)[1]. Deux observations émergent de ces propos. La première évoque l’influence de l’égalité de genre et de l’autonomisation des femmes. La seconde traite du processus en vue d’améliorer la mise en œuvre de ces deux notions, au regard des objectifs du Cameroun à l’horizon 2035. Le thème de la Journée Internationale des Femmes 2021 : « Leadership féminin pour un futur égalitaire dans le monde de la COVID-19 » célébrait d’ailleurs les efforts déployés par les femmes et filles du monde entier pour un avenir plus inclusif. Cette vision de la femme qui excelle est renforcée par le thème de la 65e session de la commission de la condition de la femme[2] : « participation pleine et effective des femmes à la prise de décisions dans la sphère publique, élimination de la violence, réalisation de l’égalité des sexes et autonomisation de toutes les femmes et de toutes les filles ». Fort de ce constat, l’urgence est de s’intéresser à l’importance d’une solidarité/collaboration saine entre femmes. Les femmes œuvrent-elles ensemble pour atteindre leur autonomisation ? Autrement dit, les femmes sont-elles solidaires entre elles ? Le présent article permet de faire l’état des lieux sur les violences des femmes par les femmes et de faire l’apologie de la solidarité féminine comme catalyseur d’autonomisation de la femme.
II- ETAT DES LIEUX SUR LES VIOLENCES FAITE AUX FEMMES PAR LES FEMMES
Selon le Comité de la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination à l’Egard des Femmes (CEDEF)[3] et conformément à la Résolution A/RES/48/104 de l’Assemblée générale des Nations Unies[4], la « violence à l’égard des femmes » désigne tous actes de violences dirigées contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques.
Au-delà des statistiques[5] démontrant les violences faites aux femmes[6], et en dépit du travail palpable mené par les associations en leur faveur[7], les femmes sont aussi la cause des souffrances des autres femmes.
En effet, au nom de la tradition, les mutilations génitales sont pratiquées par des femmes sur des femmes. La constitution du Cameroun (1996), amendée en 2008, indique, dans son préambul, que toute personne a le droit à l’intégrité physique et morale.
Par ailleurs, le Code pénal n° 2016/007, du 12 juillet 2016, en son article 277 criminalise les mutilations génitales. Considérées par l’OMS[8] comme une violation des droits humains des femmes et des filles, les mutilations génitales recouvrent l’ensemble des interventions qui consistent à altérer ou à léser les organes génitaux de la femme pour des raisons non médicales.
Par ailleurs, l’intégration dans une belle-famille ou l’insertion dans un foyer polygamique suscite généralement une controverse. Les coépouses ne parviennent pas à s’entendre et se lancent dans un engrenage croissant de coups bas. C’est l’exemple de Ramla, Safira et Hindou, trois femmes dont le vécu est relaté dans Les Impatientes[9] de Djaïli AMADOU AMAL. Ce best-seller, prix Goncourt des Lycéens 2020, brise les tabous en dénonçant la condition féminine au Sahel et nous livre un témoignage bouleversant sur la question universelle des violences faites aux femmes. Par ce chef d’œuvre littéraire, l’auteure confirme ainsi que « certaines violences faites aux femmes sont perpétuées par les femmes. »[10]
Selon une étude de l’UNFPA[11] sur les grossesses en milieu scolaire, à l’école certains condisciples des élèves mères les discriminent. Certains enseignants les stigmatisent, mais il y en a qui compatissent. Le problème persiste malgré la circulaire que Madame le Ministre des Enseignements Secondaires a adressé aux chefs d’établissements scolaires, le 22 avril 2022[12], interdisant désormais l’exclusion des élèves-filles enceintes de l’établissement. D’après le Dr. Pauline NALOVA LYONGA, « cette pratique accentue les perditions scolaires chez les jeunes filles ». Parlant de perdition scolaire, elle est plus élevée chez les filles que chez les garçons d’après le 3e recensement général de la population et de l’habitat (novembre 2005). Les filles sont moins scolarisées que les garçons et les écarts s’accroissent avec le niveau d’enseignement[13]. Les classes sociales ne doivent pas constituer de discrimination entre femmes.
III- IMPORTANCE DE LA SOLIDARITE FEMINE : CATALYSEUR D’AUTONOMISATION DES FEMMES
Officialisée en 1977 par les Nations Unies, la journée internationale de la femme puise ses racines dans diverses manifestations de femmes, dont les luttes ouvrières pour le suffrage universel féminin en Amérique du Nord et en Europe au tout début du XXe siècle. Résultant d’efforts et de vision communs, le 08 mars est une journée d’action, de sensibilisation et de mobilisation dédiée à la lutte pour les droits des femmes, l’égalité et la justice.
Cependant, la mise en application de cet agenda de progrès ne trouve tout son sens que dans un esprit de solidarité et dans une logique de co-construction. Il s’agit pour chaque femme de considérer l’autre comme une créature, un être humain capable d’apporter une plus-value à sa vie. Parler de solidarité féminine revient à signifier que chacune apporte du sien pour le progrès commun. Les femmes doivent œuvrer dans une démarche plus inclusive, s’entraider, s’encourager mutuellement, afin de mieux mettre en évidence la dimension « Empowerment féminin ».
C’est ainsi que, réunies autour d’un objectif commun, plus de 1.000 femmes, venant de 38 organisations féminines au Cameroun, ont discuté des questions de paix, de sécurité pendant la première convention nationale des femmes pour la paix au Cameroun (2021)[14]. Cet évènement a démontré la considération de la collaboration entre femme et a instruit chacune à plus d’ardeur au développement de la nation.[15]
Les femmes entrepreneures ne sont pas à la traine, leur contribution est palpable. La portée grandissante favorise le succès des projets tels que Mamy Nyanga Tour[16], un concept lancé par Françoise PUENE pour aller à la rencontre des femmes et des jeunes vulnérables à travers le Cameroun. Sans un état d’esprit collaboratif, il est difficile de grandir, de faire grandir son environnement et de prendre conscience de son potentiel.
CONCLUSION
Les travaux menés par les associations, organisations et groupes de femmes démontrent à bon escient que, malgré les VBG[17] persistantes, plusieurs initiatives ont été entreprises afin de contribuer à l’émancipation des femmes. De nombreuses femmes y ont contribué, à l’instar de Mme Chantal BIYA (Fondation Chantal Biya[18], Présidente fondatrice du Cercle des Amis du Cameroun[19]), Pr Viviane ONDOUA BIWOLE (Auteure de Les 100 femmes de l’émergence du Cameroun[20], Mme Aissa DOUMARA (Premier prix Simone Veil de la République de France, Prix de la Femme Africaine d’impact et d’exception contre les violences faites aux femmes 2019[21]), Mme Marthe WANDOU, Mme Maximilienne Chantal NGO MBE (prix international de la femme de courage[22]) et Denise EPOTE (parmi les 100 femmes influentes du continent[23]).
Ainsi, cet article a permis de démontrer que la solidarité féminine est un élément capital d’autonomisation et d’émancipation des femmes. Elle développe également le leadership des femmes. Etablir un plaidoyer en faveur de la solidarité féminine comme vecteur d’élévation de la femme revient à détecter et développer le talent des femmes, leur attribuer plus de responsabilités pour qu’elles prennent conscience de leur plein potentiel. Il sied de préciser que la femme est l’actrice de son propre devenir et doit prôner la collaboration avec ses colistières, car « nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots » (Martin Luther King)[24].
BIOGRAPHIE
Ernestine Joy Nyangono est Professeure des lycées d’Enseignement Secondaire Général et passionnée d’engagement communautaire. Convaincue que le mindset est l’élément fondateur du changement, elle aide les personnes à devenir une meilleure version d’elles-mêmes et à atteindre leur plein potentiel.
[1] AMADOU AMAL, Djaïli, Les Impatientes, Emmanuelle Collas Quentin Shoevaert Librest, interview, 20 Septembre 2020, https://www.youtube.com/watch?v=4hUyUJG33yU
[2] ONU Femmes, La commission de la condition de la femme, du 15 au 26 mars 2021, https://www.unwomen.org/fr/csw/csw65-2021, consulté le 17/08/2022
[3] Elle fut adoptée le 18 décembre 1979 et entra en vigueur le 03 septembre 1981, après avoir été ratifiée par 20 pays.
[4] La résolution A/RES/48/104, adoptée le 20 décembre 1993, proclame solennellement la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes
[5] ONU Femmes, Dans le monde, environ 736 millions de femmes – près d’une sur trois – ont subi au moins une fois des violences physiques et/ou sexuelles de la part d’un partenaire intime, et/ou des violences sexuelles de la part d’une autre personne (30% des femmes de plus de 15 ans), https://www.unwomen.org/fr/what-we-do/ending-violence-against-women/research-and-data. Consulté le 16/08/2022
[6] Cameroun : Aperçu sur les Violences Basées sur le Genre (VBG) à l’Extrême-nord (Juillet à Septembre 2019), UNFPA, 2019, https://reliefweb.int/report/cameroon/cameroun-aper-u-sur-les-violences-bas-es-sur-le-genre-vbg-l-extr-me-nord-juillet. Consulté le 18/08/2022
[7] NYANGONO, Ernestine Joy, Evaluation des mécanismes de lutte contre les violences basées sur le genre dans le grand-nord, 2021, 04 pages, https://nkafu.org/evaluation-of-mechanisms-to-combat-gender-based-based-violence-in-the-far-north-region-of-cameroon/ Consulté le 18/08/2022
[8] Organisation Mondiale de la Santé
[9] AMADOU AMAL, Djaili, Les Impatientes, Emmanuelle Collas, 2020, p 240
[10] Interview de Djaili Amadou Amal, Les Impatientes, lundi, 2020, https://www.lecteurs.com/article.interview-de-djaili-amadou-amal-auteure-de-les-impatientes/2443947. Consulté le 17/08/2022
[11] Fonds des Nations unies pour la population, Etude sur les grossesses en milieu scolaire, https://healtheducationresources.unesco.org/library/documents/etude-sur-les-grossesses-en-milieu-scooiare. Consulté le 18/08/2022
[12] Circulaire n° 02/22/C/MINESEC/CAB du 22 Avril 2022 portant modalités de gestion des cas de grossesses des élèves dans les établissements scolaires publics et privés d’enseignement secondaire
[13] Rapport National de la République du Cameroun par la Commission nationale de l’UNESCO (2008),
[14] Sous l’encadrement de la Fondation Friedrich Ebert et la Supervision du Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille, la convention s’est déroulée du 29 au 31 juillet 2021 au Palais des Congrès, Yaoundé
[15] Cameroon Tribune, Société, Promotion de la paix : les femmes sont décidées, 2021, https://www.camerron-tribune-cm/article.html/41433/fr.html/promotion-de-la-paix-les-femmes-sont-décidees
[16] Mamy Nyanga, http://www.mamynyanga.cm/mamy-nyanga-tour-2/. Consulté le 17/08/2022
[17] Violences basées sur le Genre
[18] Présidence de la République du Cameroun, https://www.prc.cm/fr/la-premiere-dame/biographie-de-madame-chantal-biya. Consulté le 18/10/2022
[19] Présidence de la République du Cameroun, https://www.prc.cm/fr/la-premiere-dame/biographie-de-madame-chantal-biya/cerac. Consulté le 18/10/2022
[20] Viviane Ondoua Biwole, https://www.google.com/amp/s/vivianeondouabiwole.com/a-propos/%3famp. Consulté le 18/10/2022
[21] Expertes France, https://expertes.fr/expertes.73013-aissa-doumara+ngatansou+m/. Consulté le 18/10/2022
[22] Cameroon Web, https://mobile.cameroonweb.com/person/Maximilienne-Ngo-Mbe-1829. Consulté le 18/10/2022
[23] En 2013, 2014 et 2019 par le Magazine Forbes Afrique, https://wia-initiative.com/fr/denise-epote-2/. Consulté le 18/10/2022
[24] Discours de Martin LUTHER KING, Remain Awake Through a Great Revolution, 31 mars 1968