L’AUTONOMISATION ET L’EMANCIPATION DES JEUNES FEMMES DU SEPTENTRION

Par Fadimatou Djaouro Dairou, institutrice, Okwelians Fellow 2022.

« Il est difficile, le chemin de vie des femmes, ma fille. Ils sont brefs, les moments d’insouciance. Nous n’avons pas de jeunesse. Nous ne connaissons que très peu de joies. Nous ne trouvons le bonheur que là où nous le cultivons. À toi de trouver une solution pour rendre ta vie supportable. Mieux encore, pour rendre ta vie acceptable. C’est ce que j’ai fait, moi, durant toutes ces années. J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs. » Les Impatientes, Djaïli Amadou Amal.

Cette citation de Djaïli Amadou Amal décrit une réalité encore présente dans la région septentrionale. Alors qu’elles représentent 51 % de la population camerounaise, les conditions socio-économiques de certaines femmes interrogent sur la prise en compte de leurs besoins. Dans la région du Septentrion, dont je suis originaire, une jeune femme sur trois sera mariée entre ses 15 et 19 ans[1]. Ce destin peut les empêcher de poursuivre leur éducation et de trouver un emploi.

Pourtant, l’insertion économique des jeunes femmes représente une véritable porte d’entrée vers leur autonomisation économique et leur émancipation. L’autonomisation est le processus permettant aux individus d’être indépendants sur le plan psychologique, social et économique. L’émancipation désigne le processus par lequel une personne se libère d’un état de sujétion, acquiert la capacité d’user de la plénitude de ses droits, s’affranchit d’une dépendance d’ordre social, moral ou intellectuel. L’un et l’autre sont interdépendants pour permettre aux jeunes femmes du Septentrion de s’accrocher à leurs rêves et de s’épanouir.

1. Relever les défis de vulnérabilité des jeunes femmes du Septentrion

A cause du risque de mariage précoce, les jeunes filles des régions septentrionales ont plus grande probabilité de se retrouver en situation de vulnérabilité sociale, économique et sanitaire. La moyenne d’âge du mariage est de 17 ans chez les femmes du Septentrion contre 23 ans dans les autres régions du Cameroun. De plus, le difficile accès à des soins de santé de qualité dans le Septentrion aggrave leur vulnérabilité socio-économique.

Les femmes sont particulièrement rendues vulnérables lorsqu’elles sont exclues des premiers cercles de socialisation pour être mariée, à commencer par l’école. La vulnérabilité sociale désigne le risque d’exclusion et de discrimination de la part de la société. Ce risque se concrétise dès lors que les femmes sont exclues des premiers cercles de socialisation pour être mariée, à commencer par l’école. Alors que 20 % des femmes âgés de 15 à 49 ans n’ont aucune éducation au Cameroun, ces taux s’élèvent à 56 %, 55 % et 48 % dans l’Extrême Nord, le Nord et l’Adamoua, respectivement. Le faible niveau d’éducation réduit leur chance d’entrer sur le marché du travail et d’être autonomes financièrement.

L’éducation remplit pleinement sa mission quand elle fait se briser les chaînes de l’exclusion et de l’insularité. Si la vie est une longue course de fond, c’est l’éducation qui permet de s’y préparer, de la nourrir et de la prolonger. Sans une éducation de qualité, on prend le départ avec un lourd handicap. L’éducation a toujours été la voie royale de l’avancement social. C’est en partie sur la politique de l’éducation avant-gardiste des États-Unis que s’est construite leur suprématie économique au XXe siècle

La vulnérabilité des femmes du Septentrion est un frein pour le développement du Cameroun. En effet, les jeunes femmes du Septentrion sont des mères qui élèvent les futurs camerounais. Comme le dit un vieil adage africain : “Si vous éduquez un garçon, vous formez un homme. Si vous éduquez une fille, vous formez tout un village”. Nous devons donc porter bien haut l’étendard de l’éducation des femmes. L’éducation des femmes n’est pas une menace, c’est une chance pour le développement. ​​Bobeto Bertrand Betseto dans son TedTalk de Poumpoure 2022 le résume ainsi : “Oui la place de la femme c’est à la cuisine mais à la cuisine interne du développement”[2].

Les femmes font partie des couches les plus vulnérables de la société car elles sont assujetties à des normes sociales qui les empêchent de se développer. Il est donc important de leur venir en aide pour qu’elles s’en sortent sur le plan économique.

2. Parvenir à l’émancipation et l’autonomisation des jeunes femmes par l’emploi

Intégrer les femmes sur le marché du travail favorise leur épanouissement personnel, leur confiance et leur autonomisation. Les chemins de l’autonomisation sont multiples : il faut d’abord que les femmes se cultivent, développent leurs connaissances, suivent des formations et les mettent en pratique[3]. Certaines disposent du capital social, financier et intellectuel pour atteindre ces objectifs et l’utiliseront pour créer leur propre activité.

Les femmes du Septentrion peuvent trouver un emploi, mais encore faut-il qu’il sécurise les revenus financiers. Dans la dernière Enquête Santé et Ménage (2018), on estime que 80,9 %, 62,7 % et 40,8 % des femmes de l’Extrême nord, du Nord et de l’Adamoua disposent d’un emploi[4]. Bien que les chiffres soient au dessus de la moyenne du pays (61,9 %), ils cachent probablement une disparité sur le type d’emploi. En 2016, le rapport de USAID montre que dans le secteur agro-alimentaire dans le Nord et l’Extrême Nord, les femmes sont principalement des détaillantes et occupent rarement les emplois de négociations qui sont plus rémunérateurs[5].  De même, la pandémie a montré la vulnérabilité des entrepreneures du Septentrion face aux fluctuations du marché économique[6].

Plusieurs initiatives portées par les organisations internationales accompagnent les femmes du Septentrion. En avril 2022, la Banque Mondiale a annoncé une aide de $ 44 Milliards pour les projets finançant l’empowerment des femmes au Cameroun. De même, le Cameroun fait partie de l’initiative Sahel Women’s Empowerment and Demographic Dividend[7] qui a pour objectif de réduire les inégalités de genre dans le Sahel en réduisant le dividende démographique. L’appui à l’autonomisation socio-économique des femmes dans les régions septentrionales du Cameroun contribuent à la création d’emplois durables et au dialogue socio-politique inclusif. Ainsi, l’ONG JAPSSO a obtenu un financement de la GIZ/ABC-PADER pour contribuer à la création d’emplois et à l’augmentation des revenus des jeunes et en particulier les femmes à travers le développement des chaines de valeur anacarde dans le bassin cotonier du Cameroun[8].

Le changement des normes est indispensable pour reconnaître l’importance de l’émancipation des femmes pour la communauté. Au nord plusieurs femmes ont des compétences et connaissances mais ne prennent pas de rôle de leader par peur de la discrimination et l’ostracisation. Encourager les femmes à s’autonomiser économiquement passe par changer les normes et accepter de voir les femmes dans des positions de leaders. Cela passe par l’institutionnalisation de leur rôle dans la communauté. Ainsi, l’intronisation des femmes en tant que notables dans 9 chefferies du Septentrion participe à leur reconnaissance[9].

CONCLUSION

L’insertion économique des jeunes femmes est un facteur de croissance et de développement durable du Cameroun, pour lequel il faut oeuvrer. Les récents investissements, notamment des organisations internationales, encouragent les jeunes femmes du Septentrion à intégrer le marché du travail, étape indispensable à leur émancipation.

BIOGRAPHIE

Fadimatou Djaouro Dairou est née le 17 septembre 1996 à Garoua Institutrice à l’école maternelle du plateau Garoua, activiste de la société civile passionnée par le bénévolat et le volontariat. Elle aime œuvrer pour le développement de la communauté.

LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/fadimatou-djaouro-dairou-a91a341ab Facebook : https://www.facebook.com/fadimatou.djaourodairou


[1] Institut National de la Statistique du Cameroun, Ministère de la Santé Publique et The DHS Program. (2018). Enquête Démographie et Santé. 739 pages. https://dhsprogram.com/pubs/pdf/FR360/FR360.pdf

[2] Bobeto Bertrand Betseto, “La place de la femme c’est à la cuisine”, TedTalk, 17 juillet 2022, https://youtu.be/34Tb82Tb_Ms. Consulté le 12/10/2022.

[3] Agence Française de Développement. “Résilience des femmes et des jeunes dans le Septentrion”. AFD, 2017, https://www.afd.fr/fr/carte-des-projets/resilience-des-femmes-et-des-jeunes-dans-le-septentrion. Consulté le 17/10/2022. 

[4] Institut National de la Statistique du Cameroun, Ministère de la Santé Publique et The DHS Program. (2018). Enquête Démographie et Santé. 739 pages. https://dhsprogram.com/pubs/pdf/FR360/FR360.pdf

[5] Programme Alimentaire Mondiale, USAID. (2017). Chaînes de valeur agricoles et genre dans le Nord Cameroun. 88 pages.  https://docs.wfp.org/api/documents/WFP-0000102248/download/

[6] Iega, Eric. “Covid-19 impacte gravement l’entreprenariat féminin à l’Extrême-Nord Cameroun”. Radio Ndarason Internationale, 12 mars 2021.  https://www.ndarason.com/covid-19-impacte-gravement-lentreprenariat-feminin-a-lextreme-nord-du-cameroun/ Consulté le 13/08/2022.

[7] United Nations Population Fund et the World Bank. (2015). Sahel Women’s Empowerment and Demographic Dividend (SWEDD). 32 pages https://wcaro.unfpa.org/sites/default/files/pub-pdf/SWEDD_ENG.pdf 

[8] Ndeme, Léa, Terhaar, Marieke et Tchouta, Francine. (Mars 2021). “Accompagnement des mutations du Bassin cotonnier du Cameroun – Programme d’Appui au Développement Rural (ABC – PADER)”. https://www.giz.de/de/downloads/giz2021_fr_ABC-PADER_Factsheet.pdf

[9] Djene, Erel. “Au Septentrion: des femmes peuvent désormais conseiller les rois”. Actu Cameroun, le 11 Juillet 2019. https://actucameroun.com/2019/07/11/au-septentrion-des-femmes-peuvent-desormais-conseiller-les-rois/ Consulté le 13/10/2022.

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