« FAIRE TAIRE LES ARMES EN AFRIQUE » AU DELÀ DE L’HORIZON 2020 : DU VŒU A L’ACTION

Gabrielle ANDELA KELLE

Co-Directrice du LaB de The Okwelians

A l’occasion de la célébration du cinquantième anniversaire de l’Organisation de l’Unité Africaine/Union Africaine (UA), qui a été créée le 25 mai 1963, les Chefs d’Etat et de Gouvernement du continent dans une Déclaration solennelle se sont engagés à faire de l’Afrique, une zone sans conflits armés en 2020[1].  Ils ont ainsi adopté le projet « Faire taire les armes à feu en Afrique d’ici 2020 ». L’initiative visait à parvenir à la paix, mettre fin aux conflits armés, aux extrémismes et à la criminalité, pour permettre le développement en Afrique.

Pour l’atteinte de sa vision, l’UA a listé des étapes à suivre pour mener à bien son objectif dans la Feuille de route de Lusaka adoptée en 2016. Elle énumère les défis politiques, économiques, environnementaux et juridiques que devait relever le continent dans la quête de cet idéal de paix.

A l’heure de l’évaluation, force est de constater que cette quête d’une Afrique sans conflit armé est encore loin d’être atteinte. Les foyers et les sources de tension pullulent sur le continent. A ce stade, l’action du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) est vivement questionnée, près  d’une double décennie de sa mise en place[2], et plus de quinze ans de l’entrée effective en activité[3] de cette initiative collective dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité à l’échelle continentale.

Le CPS face à une situation de crise ou de conflit armé déploie toute la panoplie d’activités diplomatiques pour empêcher qu’elle ne dégénère, allant de la diplomatie préventive à la médiation et aux bons offices. Sur la base des informations reçues du Système continental d’alerte rapide (SCAR) et du Groupe des Sages, le CPS procède, de manière semestrielle, à l’examen périodique de l’état de la paix et de la sécurité sur le continent. A l’issue de chaque examen périodique, il établit un Rapport sur « ses activités et l’état de la paix et de la sécurité en Afrique ». Une autre institution de la diplomatie préventive est retrouvée dans les missions d’évaluation du CPS dans les pays en contexte de processus de paix.

En pratique, le CPS a davantage fait usage de la médiation que des autres procédés diplomatiques dans les différentes situations africaines de crise et de conflit ; cette médiation se matérialisant dans la création de « Groupe Ad hoc de Haut niveau » pour la majorité des situations de crise et de conflit examinées.

Cependant, il arrive que l’action diplomatique du CPS ne parvienne pas à ramener la paix et la sécurité entre les Etats ou en leur sein. Dans ce cas, les différentes mesures coercitives viennent soutenir les efforts diplomatiques. L’action coercitive du CPS est double. Il peut s’agir soit de sanctions de régimes, soit d’opérations de soutien à la paix.

Par ailleurs, le CPS est doté de moyens d’action considérables pour assurer sa mission : un Groupe des Sages, un système continental d’alerte rapide, une Force africaine repositionnée et un Fonds spécial. De tous ces moyens, seul le Groupe des Sages semble ne rencontrer aucune difficulté majeure à son bon fonctionnement. Le Fonds pour la paix n’a été créé qu’en 2020.

Toutefois, en réalité la structuration de l’action du CPS révèle un potentiel qui augure de capacités indispensables au service de la paix et de la sécurité en Afrique, mais ce potentiel est desservi par des moyens insuffisants et un environnement global défavorable. Dès lors, le défi d’une meilleure efficacité de l’action du CPS prescrit un double mouvement : l’autonomisation de l’organe et le renforcement d’activités en faveur de la consolidation de l’Etat de droit sur le continent.

Ainsi, pour une plus grande efficacité de l’Union Africaine, il faudrait une réelle séparation des pouvoirs et une indépendance dans l’exercice des fonctions entre les organes de l’UA, en particulier entre le CPS et la Conférence dans le domaine de la paix et de la sécurité. En outre, Il devient urgent pour le CPS, et plus largement pour l’UA, de développer des sources de financement alternatives, mais surtout pérennes, notamment une participation véritable au Fonds de la paix, l’implication des institutions financières africaines dans le financement de la paix et de la sécurité sur le continent, ou encore la mise en œuvre effective du Fonds d’Intégration Africaine (FIA), destiné au financement du Programme Minimum d’Intégration (PMI)  de l’UA dont l’un des objectifs est de « prévenir, résoudre les conflits »  ainsi que le « développement post-conflit ».

La visibilité et la crédibilité de l’action du CPS dans le maintien de la paix et de la sécurité sur le continent africain est aussi tributaire d’une plus grande implication des Etats africains. Les Etats africains devraient être solidaires et confiants dans leur capacité à créer un environnement stable sur le continent. Une autre matérialisation d’une plus grande implication des Etats africains serait la mise en place effective des composantes de l’Architecture de Paix et de Sécurité Africaine (APSA). Mais surtout, l’efficacité de l’action du CPS passe par la consolidation de l’Etat de droit en Afrique. Dans le droit de l’UA, la perception de l’Etat de droit fait référence au triptyque : droits de la personne, démocratie et bonne gouvernance.

Afin de promouvoir la bonne gouvernance, les dirigeants africains ont créé le Mécanisme africain d’évaluation entre Pairs (MAEP). Il a pour but d’encourager l’adoption de politiques, normes et pratiques en vue de promouvoir la stabilité politique. Le mandat du MAEP consiste à s’assurer que les politiques et pratiques des Etats parties sont conformes aux valeurs convenues dans le domaine de la gouvernance politique et économique. C’est un instrument d’auto-évaluation auquel adhèrent librement et volontairement les Etats-membres de l’UA à travers la ratification de son Protocole d’Accord. Le MAEP compte actuellement 41 Etats-membres. Cependant, un nombre encore peu satisfaisant d’Etats a achevé son auto-évaluation et a été examiné par le Forum des Chefs d’Etat et de Gouvernement.

Or, l’un des principaux intérêts du processus du MAEP est le Plan d’Action National (PAN). C’est le document central à travers lequel les standards de gouvernance devraient être effectivement mis en œuvre pour combler les lacunes identifiées dans le rapport d’examen des pays. A titre d’illustration, les cas du Kenya et de l’Afrique du Sud ont démontré que le suivi/évaluation de la mise en œuvre des PAN est important. Les deux pays ont chacun été confrontés à des conflits armés qui avaient été prédits par leurs rapports d’évaluation respectifs (dans le cas du Kenya, la crise électorale en 2008, et en Afrique du Sud, une série d’attaques de nationaux contre les ressortissants de pays étrangers africains).

Le CPS devrait intensifier le partenariat stratégique avec le MAEP, et plus généralement avec l’Architecture Africaine de Gouvernance (AAG), pour la réalisation de sa mission de paix sur le continent par le biais de l’apprivoisement de la bonne gouvernance. Ce partenariat serait l’occasion d’inviter les Etats non encore membres du MAEP à y adhérer, mais également et surtout d’encourager tous les Etats africains à procéder à l’évaluation périodique et à mettre en application les PAN conçus au terme de cette évaluation.

L’évaluation des Etats par le MAEP permettrait ainsi de déceler des frustrations au sein des populations et de prévenir des crises ou conflits à travers la mise en œuvre des PAN. C’est dans ce sens que le Docteur Yves Alexandre CHOUALA envisage la création des sociétés sûres comme une perspective pratique d’une consolidation structurelle de la paix et de la sécurité collective en Afrique : « La création des sociétés sûres est la manière idoine de construction d’une paix durable. […] Il s’agit de façon lapidaire d’éradiquer la pauvreté, […], de construire l’équité et la justice, la santé pour tous, de diffuser les connaissances et de construire des sociétés de vie aux dépens des sociétés de la mort »[4]. La détérioration des conditions de vie des populations africaines constitue donc encore l’un des principaux obstacles à la fin des conflits armés, des extrémismes et de la criminalité et l’une des plus dangereuses menaces à la paix, la sécurité et la stabilité du continent.


[1] Déclaration Solennelle sur le Cinquantième Anniversaire de l’OUA/UA, adoptée par la Vingt et unième session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine, Addis-Abeba, 26 mai 2013, paragraphe E, P.6

[2] Le Protocole relatif à la création du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine a été adopté le 09 juillet 2002 à Durban (Afrique du Sud) au cours de la première session ordinaire de la Conférence de l’Union. Il est entré en vigueur le 26 décembre 2003.

[3] La première réunion ministérielle du CPS a été convoquée le 14 mars 2004 à l’occasion de la quatrième session ordinaire du Conseil exécutif de l’Union. Lire notamment LECOUTRE (D.) « Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, clef d’une nouvelle architecture de stabilité en Afrique ? » in Afrique Contemporaine n°212, 2004, pp. 131-162.

[4] CHOUALA (Y-A.), « Puissance, résolution des conflits et sécurité collective à l’ère de l’Union africaine. Théorie et pratique » in Annuaire Français des Relations Internationales, Bruxelles, Bruylant, 2005 Vol. VI, p.303 et s.

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