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Grand dialogue national: si nous revenions deja a table?

Par Georges ALLADJIM

Un an seulement après que le Grand Dialogue National (GDN) ait abaissé son rideau sur le Palais des Congrès, des évènements récents à fort relents ethnocentristes, prêtent à penser que ce Rendez-vous devrait être réédité, le plus tôt possible.

Entre le conflit anglophone, l’éclosion du mouvement « 10 millions de Nordistes », la marche pacifique/hostile d’un mouvement identitaire Sawa, les prises de parole ouvertement tribalistes dans les médias et réseaux sociaux…le Cameroun semble avoir mal à son vivre ensemble, partout. Sans action majeure, cet idéal supérieur s’imposant à tous en vue de préserver la cohésion sociale, aura vécu, au passé.

Intégrer l’exigence de préservation de l’Unité nationale dans la vie du Citoyen, telle pourrait cette fois-ci, être la mission principale des délégués convoqués dans ce qui serait alors le juste prolongement, d’un acte manqué. Trop focalisé sur le règlement de la crise anglophone, le précédent opus aura perpétué l’erreur de prendre pour acquis notre « désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis » (Ernest Renan).

En 2020, les Camerounais veulent-ils toujours former une nation? Si Oui, comment devront- ils organiser ce que Renan appelait, ce « plébiscite de tous les jours » ? Ce sont là des questions vitales qu’il convient de poser librement et à défaut d’un second GDN, nous essaierons d’énumérer des pistes de réflexion personnelles, pour notre « mieux vivre ensemble ».

Dans un modèle de fédéralisme économique assorti de mesures que nous citerons, il est possible de restaurer la confiance des citoyens en l’action publique et de développer le liant si précieux dont ont besoin les pierres de la maison Cameroun, pour tenir durablement.

*REVOIR LA FORME DE L’ETAT, UN IMPERATIF DEMOCRATIQUE*

Malgré l’insistance de nombreux délégués réunis au GDN d’Octobre dernier, le débat quant à la forme de l’état n’eut pas lieu : faisant dire à des analystes qu’il fut offert à tous une chèvre, dont l’état ne put s’abstenir de retenir la corde.

Le sujet du fédéralisme rendu tabou dans l’espace public par l’administration, s’est vu opposer celui de la décentralisation. Instituée en 1996, la décentralisation dont l’épilogue est renvoyé au 6 Décembre, arrive trop tard et ne viendra à en juger par les querelles déjà observées (KINGUE vs MINDDEVEL) ni résoudre le problème de la lenteur du pouvoir central à statuer sur des questions locales (33 décrets d’application en attente de signature sur ce sujet), ni celui du chevauchement discutable entre les prérogatives d’autorités déconcentrées et celles d’élus locaux.

Autant se le dire, parmi les exemples de lois au Cameroun, belles et tracées comme nos ponts et routes sur le papier des années durant, mais invisibles sur le terrain, faudra compter celles de décentralisation pendant encore au moins, une année

Si l’empêchement systématique d’évoquer le Fédéralisme, représente bien le schéma de décision unilatéral de notre état unitaire, les conditions du vivre ensemble ou du

développement des territoires, ne se décrètent pas à des kilomètres, sans conséquences : d’abord parce que le décret s’applique sur des réalités différentes d’un espace à un autre, ensuite parce qu’il n’est pas toujours pris dans le temps qui s’y prête. Pourquoi ne pas demander au peuple s’il veut ramener le prince au milieu de ses sujets, donner à la gouvernance locale, les compétences pour réaliser les aspirations de ses administrés ? C’est là l’essence du principe de subsidiarité, que l’action publique soit exécutée par l’entité compétente, la plus proche du public concerné par le problème à résoudre. En rapprochant la décision des citoyens, l’on renforce la légitimité de l’action publique.

C’est le droit des administrés d’accéder rapidement au service public et d’avoir auprès d’eux, des interlocuteurs pleinement investis de leur charge de décideurs et non des délégués. Tant qu’il faudra aller à Yaoundé pour décider du tracé d’une route à Douala, Muyuka ou Eseka, fabriquer un passeport, obtenir son diplôme…alors les griefs portés vers l’état, persisteront. L’actualité récente de Bakassi, révèle que l’incapacité du gouvernement à organiser 18 ans après, le développement de ce territoire de 1000 km2, fait peser le risque d’une annexion par le Nigéria : ajoutons à cela la poursuite des combats au NOSO et l’on est fondé de croire que la confiance envers le pouvoir central est considérablement étiolée sur des pans entiers du territoire national.

Devant l’échec de la décentralisation qui se profile, il convient de donner ce conseil d’Horace à notre état « Ne charge pas tes épaules d’un fardeau qui excède tes forces » puisque selon les Maures « Le fardeau supporté à plusieurs, est une plume ».

*LE FEDERALISME ECONOMIQUE, L’INTEGRATION NATIONALE PAR LA PROSPERITE*

Au vu de ce qui précède, le fédéralisme entendu comme la forme d’un état où la souveraineté est partagée par le pouvoir central aux collectivités locales fédérées, recueille nos suffrages.

La nation peut à défaut d’être bâtie sur des essences communautaristes, reposer sur d’autres valeurs qu’identitaires et en cela nous ne défendrons donc pas le «fédéralisme communautaire ».

Nous pensons que la cohésion sociale est mise à mal par la compétition que se livrent des communautés, pour le contrôle des ressources (naturelles ou anthropiques) et donc plaiderons pour un fédéralisme mettant la prospérité au cœur de l’action publique, car plus les protagonistes ont de patrimoine commun à perdre, moins ils seront sensibles au repli identitaire.

Et si nous redéfinissions de manière concertée et consensuelle, les espaces fédérés non pas en fonction de leurs prétendues composantes sociologiques naturelles, mais de leurs complémentarités économiques ? Les entités créées transcendant les identités primaires, les feraient évoluer, prônant l’égal accès des citoyens, aux opportunités économiques définies pour eux, émancipant l’individu des logiques communautaires en lui offrant les moyens de son accomplissement personnel. Le citoyen de cet espace où il fonde sa résidence, s’intégrera par le travail et la création de richesses sans restriction aucune liée à ses particularismes. Les espaces se faisant mutuellement commerce, se livreront à une saine émulation pour la retenue de leurs populations. Les instances de décision locales votées pour œuvrer à

l’amélioration des conditions de vie de leurs administrés, devront donc disposer d’une autonomie législative et juridictionnelle, permettant la création et la gestion de leurs ressources. L’état central pourrait garder les prérogatives régaliennes lui permettant de veiller à l’unité nationale (éducation, diplomatie, commerce extérieur, sécurité, etc…).

LE SERVICE CIVIQUE OBLIGATOIRE POUR REFONDER LES IDENTITES CITOYENNES

Considérons l’instauration d’un service civique national obligatoire et continu pour les jeunes générations, pour recréer du lien social, susciter un sentiment commun d’appartenance à la nation qui puisse inspirer chez chaque citoyen, la croyance en une communauté de destin et l’attachement à des valeurs supra-ethniques.

Les élèves et étudiants pourraient justifier outre du français et de l’anglais, de l’apprentissage d’un minimum de deux langues nationales tout au long de leur cursus et stages civiques.

TOLERANCE ZERO ENVERS LE TRIBALISME

L’intégration le 29 Novembre dernier, du délit d’outrage à la tribu dans l’article 241 du Code pénal demeure peu suivie d’effets. Il faut outre appliquer les textes en vigueur, compléter le dispositif en : dotant chaque ville d’une brigade dédiée à traquer les publications tribalistes sur les Réseaux sociaux et publiciser dans un fichier national, les déviants de sorte à leur faire porter la honte de leurs opinions; généralisant les Travaux d’Intérêt Général pour les auteurs de dérives tribales ; interdisant l’instigation de cercles communautaristes de type « élites » « ressortissants de… » ou leurs manifestations (déclarations, marches, mémorandums etc…) etc…

DECIDER D’UN MORATOIRE POUR L’EQUILIBRE REGIONAL ET LE BILINGUISME

L’équilibre régional pensé comme une mesure de discrimination positive, doit être défini dans une temporalité et se donner les moyens d’établir in fine, les conditions de sa propre mort.

Il faut lui définir un moratoire au-delà duquel, le mérite individuel plutôt que l’appartenance, lui sera privilégié.

Idem, un moratoire pour obtenir le bilinguisme intégral du pays: bilinguisme de l’administration, de l’éducation etc…le secteur privé pouvant soutenir ces efforts en convertissant son organisation.

Pour ces deux problématiques importantes pour un mieux vivre ensemble, il faut plus qu’une échéance claire pour arriver aux finalités définies par ces politiques, des indicateurs de mesures et un conseil présidentiel chargé d’animer l’atteinte de ces objectifs, pour guider les autorités.

REFORMER LA CHEFFERIE TRADITIONNELLE

Il faut impérativement réformer la chefferie traditionnelle (statuts, rôles, attributs) et embarquer ses autorités, dans une réflexion sur la construction d’une identité nationale respectueuse des cultures mais s’imposant à tous.

REECRIRE NOTRE HISTOIRE COMMUNE

Le Cameroun n’existe que dans la victoire : il faudrait le doter d’un récit national qui célèbre ses échecs et ses gloires communes, moins par ambition de relater la vérité des faits historiques que par souci de fédérer durablement, les enfants du Cameroun.

Les contours de ces actions restent imprécis, mais le Cameroun ne manque pas de penseurs et le GDN peut, doit servir à nourrir ce débat : qu’en dites-vous ?

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Qu’est-ce qu’un héros Africain?

Pour l’espagnol Baltasar Gracian qui commit un ouvrage intitulé, Le Héros, l’héroïsme consiste paradoxalement en la maitrise de ses passions, la capacité à les dissimuler, à l’art de la prudence pour atteindre ses objectifs.

Il est peu probable que cette définition raisonnée fasse florès au sud de la Méditerranée. Demandez donc aux citoyens africains lambda, qui sont leurs héros politiques. Vous aurez assurément Lumumba, Sékou Touré, Mugabe, Sankara, Olympio Mugabe. Une majorité de ces héros sont tragiques, pis, ils se caractérisent surtout par leur coup d’éclat, leur geste héroïque face au (néo)colonisateur.

On peut mettre ces « héros » en relief avec un Nelson Mandela, adulé pendant les années 80 et au début des années 90, mais désormais contesté dans de nombreux cercles africains bien qu’ayant réalisé une transition d’un système raciste et autoritaire vers une démocratie libérale.

Des voix s’élèvent pour dénoncer le fait  que son compromis soit  trop favorable aux blancs qui dominent toujours la superstructure économique en Afrique du Sud. Cette attitude de compromis-  ou de compromission selon certains- tranche avec celle de son Camarade Bob (Robert Mugabe), qui fit moins des manières au Zimbabwe voisin précipitant le pays dans une crise économique dont il n’est toujours pas sort. A contrario, un Mandela a privilégié une politique sur le long terme et n’a que peu commis de « geste héroïque » qui satisferait l’opinion noire/décolonisée dans l’immédiat.

Pourtant, dans la galaxie des gestes héroïques africains, Mandela demeure toujours derrière les discours de Sékou Touré ou Lumumba face aux colons.

Cette prédominance du geste héroïque illustre le fait que la psychologie politique de beaucoup d’africains demeurent marquée par la (dé)colonisation. Cette psyché est attisée par la persistance de régimes plus au moins autoritaires muselant l’expression des aspirations et volontés des populations. Dans les régimes plus ou moins démocratisés, les brimades du réel – notamment une globalisation économique dans laquelle l’Afrique a un poids politique et économique moindre – contribue également à la persistance de cette conscience de dominé.

En conséquence, les héros privilégiés sont ceux qui s’inscrivent  en opposition à la marche du monde ou de l’histoire plutôt que porteurs d’un projet de société ayant donné la preuve de leur supériorité intellectuelle et politique. Ce sont davantage des martyrs, souvent des (néo)colons, mais aussi victimes de leurs propres passions. Leur admiration prospère dans un contexte volontiers manichéen qui nourrit paradoxalement un rapport fataliste à la politique. Puisque l’Afrique est « mal partie », « perdante » autant privilégier les gestes qui satisfont l’amour propre, la conscience de dominé.

Bien souvent, la focalisation sur le geste héroïque fait l’économie d’une évaluation ou réflexion sur ses conséquences, pis encore, de son efficacité politique. Au risque de choquer, qu’aura apporté au Congo et même à Lumumba, son discours face à Baudouin si ce n’est une sécession du Katanga, l’antipathie américaine érodant son autorité dès son accession au pouvoir ? Le même raisonnement peut être appliqué à Sékou Touré, qui n’avait pas mesuré l’impact de son discours sur De Gaulle- comme les conseillers de ce dernier au demeurant-.

Or si l’on considère que la politique pure consiste à mobiliser différents voies et moyens pour atteindre des objectifs, on peut s’interroger sur l’appétence africaine pour un héroïsme sans lendemain. En dépit de ces échecs –mis sur le compte du (néo)colon et ses affidés, la popularité de ces martyrs transformés en héros demeure.

A contrario, d’autres politiques africains moins flamboyants, ternes, firent des choix moins spectaculaires, mais plus audacieux à cette époque. Se faisant, certains initièrent des dynamiques de développement dans leurs pays respectifs. Or, quand ils ne sont pas qualifiés de « traitres », ou de « vendus » par les survivances de l’anti-impérialisme, ils constituent une mauvaise conscience de beaucoup d’Africains qui leur accordent du crédit à reculons. Félix Houphouët Boigny étant le meilleur exemple.

Cette conscience ambiguë reflète le dilemme sous tendu dans les démocraties émergentes sur le continent : voulons-nous des dirigeants qui nous représentent? Ou des dirigeants qui répondent efficacement à nos besoins ? Souvent, la conjugaison de ces deux logiques (représentation ou efficacité) est ardue. Au cœur de ce dilemme, réside non seulement la maturation (ou pas) des démocraties africaines, mais surtout l’émergence de ces héros positifs.

Comme disait Victor Hugo, « il faut entrer dans cette masse d’hommes comme un boulet de canon, ou s’y glisser comme une peste ». Jusqu’ici, une majorité d’âmes africaines, romantiques à leur sens ont privilégié le boulet, le coup d’éclat, le verbe haut, – avec les réussites inégales que l’on connaît. Serait-il temps pour nos héros en herbe de choisir la peste à défaut de devenir des martyrs ?

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